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L’histoire de la Ferraille

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L’histoire de la Ferraille

(Extrait de la thèse du Dr Philippe CATHALA, Président du Conseil Départemental de l’Ordre des Médecins de l’Hérault, Médecin Légiste au CHU de Montpellier)

« A tout seigneur tout honneur ! Voici le tube incontesté des chansons traditionnelles de l’internat de Montpellier. Elle est chantée en chœur et parfois en canon, à toutes les grandes occasions de la vie de l’internat, et en particulier à l’issue de chaque thèse en l’honneur du nouveau docteur par ses camarades internes réunis sur les marches de l’escalier de Charancy dans le hall de la faculté de médecine. Tube incontestable des chansons d’internat mais tube qui demeure pourtant une énigme pour beaucoup d’internes et d’anciens internes qui s’interrogent toujours sur son origine et sa signification. Certains diront que ce mystère est justement la clef de son succès et de sa notoriété. Luc Marty lui-même s’est heurté à cette difficile mais fondamentale question lors de la rédaction de sa thèse sur les chansons de l’internat de Montpellier en 1974. Sa seule piste était qu’il ne s’agissait vraisemblablement pas d’une chanson montpelliéraine puisque d’anciens collègues originaires du Nord de la France lui avaient confié se souvenir d’avoir chanté cette mélodie alors qu’ils étaient enfants. Il suggérait donc déjà avec malice que « la ferraille» avait probablement été adoptée par l’internat justement en raison de son absence de sens direct. A la rigueur il voulait bien lui concéder la place de chanson à boire, comme son texte l’indique, et donc à ce titre, forcément prisée par tout carabin. Les technologies modernes et en particulier le réseau Internet nous permettent aujourd’hui d’apporter un certain nombre de précisions supplémentaires quant à l’origine et au sens de cette chanson sans pour autant expliquer de manière évidente ce qui fait qu’elle a été adoptée, visiblement au XIXème siècle, à Montpellier. Le premier élément est que cette chanson est effectivement une vieille comptine qui date très probablement de la fin du XVIIIème ou début du XIXème siècle et qui semble issue du répertoire scout. A l’analyse du texte, on peut en effet estimer que les paroles remontent à la fin du XVIIIème siècle voire au début du XIXème et ce, pour trois raisons : Le « Quai de la Ferraille » évoqué dans la chanson désigne très probablement l’actuel quai de la Mégisserie situé dans le premier arrondissement de Paris qu’on appelait au XVIIIème siècle « Quai de la Ferraille» en raison des nombreux revendeurs de ferraille qui s’y pressaient. On sait, d’après la nomenclature des rues parisiennes publiée sur le site Internet de la mairie de Paris, que ce quai n’a été désigné sous cette appellation qu’au XVIIIème siècle puisqu’il portait auparavant le nom de Quai de la Saunerie et qu’il a ensuite pris son nom actuel de Quai de la Mégisserie. A notre connaissance, il n’existait par ailleurs aucun autre quai portant ce nom à cette époque-là dans une quelconque autre ville francophone. Les marchands de coco évoqués dans la chanson ont fait leur apparition dans les rues de Paris à la fin du XVIIIème siècle et ont disparu environ un siècle plus tard au début du XXème . Ces petits marchands ambulants portaient une fontaine en tôle sur le dos et quelques gobelets à la ceinture. Ils vendaient pour une modique somme à qui avait soif leur breuvage, le « coco », une macération de bâtons de réglisse dans de l’eau citronnée! Guy de Maupassant nous décrit d’ailleurs dans son conte «Coco, coco, coco frais » la façon dont ces marchands hélaient à Paris les passants: le plus souvent annoncés par une clochette, ces derniers arpentaient les rues de la capitale aux heures les plus chaudes de la journée en criant « Coco, coco, coco frais! Qui veut du coco ? » ou alors « à la fraîche, qui veut boire ? ». L’hiver, ces marchands devenaient des marchands de tisane. Une recherche actuelle sur Internet montre que si cette comptine semble ne plus être connue et chantée en France de nos jours, du moins en dehors de l’Internat de Montpellier, elle reste vivante et usitée au Québec puisque de nombreux enregistrements « Youtube » disponibles sur le Web montrent des groupes d’enfants, essentiellement des scouts, la chanter. Son texte figure d’ailleurs dans plusieurs livrets scouts québécois et dans plusieurs recueils de chansons traditionnelles pour les jeunes. Il n’y a guère que le nom du marchand qui varie quelque peu d’une version à l’autre passant de «Cramponneau » à « Bamboto » en passant par « Rompollo ». Peut-être finalement cette comptine est-elle d’inspiration parisienne mais d’origine québécoise ? Il est finalement dommage que dans les années 1960, nos anciens collègues, n’aient pas profité de la présence du « canadien » parmi eux pour lui demander en contrepartie de sa supercherie d’éclairer leurs lanternes au sujet de « la ferraille ». Le « canadien » est, pour mémoire, ce prétendu interne, immortalisé dans une chanson de revue, qui avait réussi à tromper toute la famille des internes en se faisant passer pour l’un d’eux pendant plus d’un semestre, abusant de ce fait du gîte et du couvert à la Villa Fournier, et qui est resté dans les mémoires pour les innombrables vols et larcins qu’il a commis, jusqu’à ce que le Professeur Joyeux ne démasque son imposture à l’occasion des choix ! En dehors de ce tube de la chanson d’internat, un large répertoire existe. Luc Marty en faisait l’exégèse lors de sa thèse en 1974 (…) » ©