Un interne en médecine, parti 2 mois en Ukraine
Edouard Bonnemain, interne en médecine d’urgence, promotion 2020, a fait le choix en mars 2022, de partir auprès des soignants en Ukraine pour répondre à l'appel du président Ukrainien Volodymyr Zelensky relayé par l'ambassade d'Ukraine en France.
Edouard veut se spécialiser en médecine de guerre et de catastrophe. Il rentre en contact avec un anesthésiste-réanimateur français d'origine Ukrainienne, partie à Kiev rejoindre sa famille et aider dans les hôpitaux.

Après avoir eu l’accord de son coordonnateur (le Pr Sebbane), de son chef de service (le Dr Callamand) et de Mme la Doyenne (le Pr Laffont), Edouard partira pour la Pologne pour rejoindre Lviv, la ville la plus à l'ouest de l'Ukraine, il rejoindra ensuite Kharkiv la ville la plus à l'est, à 30 km de la frontière Russe pour apporter du matériel médical à l'hôpital régional de la ville. Direction ensuite Kiev où il intégrera un bataillon de secours médical Ukrainien avec quelques étrangers, le Bataillon des Hospitaliers. Il sera déployé à Irpin sur le front de Kiev et dans la région de Zaporijia sur le front sud-est.
Il nous raconte son incroyable expérience :
En dehors de ton complément de formation, avais-tu une autre motivation pour rejoindre ces équipes médicales au plus près des combats ?
A mon sens, l’élément déclencheur du conflit entre l’Ukraine et la Russie est la volonté de la majorité du peuple Ukrainien de rejoindre l’Union Européenne en 2014, ce que son voisin a décidé de contrer par une intervention armée, d’abord clandestine en 2014, puis à partir de février dernier, de manière plus ouverte en lançant une invasion à grande échelle. Je pense qu’au vu de l’histoire nous avons un devoir de défendre la souveraineté des peuples, la liberté dont nous jouissons aujourd’hui en France, nous la devons parce que des centaines de milliers de personnes venues des 4 coins du monde sont morts sur le sol français au siècle dernier pour la défendre, on a tendance à l’oublier. Je ne me sentais pas de rester chez moi à regarder ce qu’il se passait devant ma télé alors que les Ukrainiens nous demandaient de l’aide.
Tu es parti de Montpellier pour te retrouver proche du front dans les régions de Kharkiv, Kiev et Zaporijia avec les humanitaires et les autres soignants, as-tu su trouver ta place rapidement dans les postes d’urgence avancés alors que tu n’avais fait encore qu’un semestre de médecine d’urgence?
Je m’intéresse à la médecine de guerre depuis le début de mon externat, j’avais déjà lu plusieurs fois les guidelines américains de la prise en charge du blessé de guerre (le Tactical Combat Casualty Care, TCCC), j’avais acheté au début de mon internat le traité coordonné par le Pr Mérat sur le blessé de guerre et j’avais passé l’Advance Trauma Life Support du Collège des chirurgiens Américains en novembre 2021.
Donc j’avais déjà un certain bagage théorique, j’étais également formé au geste de premier secours, car j’avais passé le PSE2 lors de mon externat avec la croix rouge et j’ai fait faisant fonction d’infirmier pendant 2 mois lors de la 1ère vague COVID à Paris à la réanimation de l’hôpital Tenon. Mon semestre aux Urgences de Lapeyronie m’avait déjà appris à gérer des flux importants de patients, bien sûr dans des conditions bien différentes, mais croyez-moi,
la salle d’accueil et d’orientation des urgences de Lapeyronie à 18h n’a pas grand-chose à envier à notre hall d’accueil à l’hôpital de Pokrovske !
La différence, bien sûr, est que les patients à Lapeyronie sont bien moins graves que ceux que j’ai vus en Ukraine. Lorsque j’ai intégré mon bataillon, nous avons commencé par une formation de 3 jours basée sur le TCCC, où nous étions évalués, en fonction de nos compétences, nous étions affectés à un rôle dans une escouade. Le courant est rapidement très bien passé avec les membres de mon équipe, nous nous sommes entrainés plusieurs fois ensemble afin de mieux connaître les façons de travailler de chacun avant d’être déployé. Nous étions 2 « docs », l’autre étant un jeune interne d’anesth-réa Ukrainien, avec 2 paramédics dont 1 conducteur et 1 soldat chargé de notre protection. Je pense que j’ai réussi à trouver ma place rapidement parce que mon état d’esprit était d’aider comme je pouvais, donc si cela voulait dire par moment faire principalement des gestes infirmiers, participer à la logistique ou faire de la formation et bien je m’adaptais et je le faisais. Je pense que d’autres volontaires étrangers ne sont pas partis avec cet état d’esprit et c’est ce qui leur a manqué, ils n’ont pas su s’adapter à la façon de faire ukrainienne et n’ont donc pas su gagner leur confiance.
J’imagine que les blessés arrivaient en masse, comment as-tu géré ton stress et le patient que tu devais stabiliser ?
Dans les phases actives où je prenais en charge des patients mon niveau de stress était assez bas car nous avions un bon esprit d’équipe et nous travaillions vraiment bien ensemble. Nous étions bien entrainés donc les gestes et la prise en charge se faisaient naturellement, j’étais concentré sur le ou les patients et je faisais abstraction du reste. C’est lors des phases d’attente, avant les déploiements ou lors des périodes de creux que le stress se faisait le plus ressentir, on pense beaucoup dans ce genre de moment et ce n’était pas toujours possible de trouver une activité pour essayer de s’occuper l’esprit, notamment lorsque j’étais dans la région de Zaporijia, à Kiev on essayait de s’entrainer le plus possible et on participait à la logistique de la base pour s’occuper.
Dans les moments d’attente dans la région de Zaporijia, il n’y avait rien à faire, donc on se demande ce qui se passe vraiment à quelques kilomètres de nous, combien de soldats reste-il sur le front, est-ce que les Russes ont la supériorité numérique, vont-ils tentaient une offensive sur notre position où à distance, est ce que les Ukrainiens vont tenir la ligne, que se passera-t-il si l’on est encerclé ? Tout un tas de questions qui reflète l’inconnu au quotidien auquel on fait face.
Quels moyens avais-tu sur place ?
Nous avions beaucoup de moyens grâce à l’aide international. Nous avions tout le matériel nécessaire pour la phase initiale de la prise en charge des blessés : garrots tourniquets, pansements hémostatiques, israéliens et semi-occlusif pour les plaies thoraciques, de quoi exsuffler les pneumothorax et nous avions même des garrots jonctionnels pour les plaies hémorragiques difficilement comprimables. Nous avions tous une trousse personnelle du combattant avec tout le matériel pour nous traiter si jamais nous étions blessés. La salle de déchocage où j’ai travaillé dans la région de Zaporijia était bien équipée avec un poste de radio dédié, un échographe. En revanche nous manquions de morphiniques, d’oxygène (nous utilisions des concentrateurs d’O2 avec des débits limités à 6 L/mn) et surtout de produits sanguins labiles ce qui était notre plus gros problème.

T’attendais-tu à vivre ce que tu as vécu ? Et referais-tu la même chose si c’était à refaire ?
Je m’attendais à ce que les conditions de vie soient plus dures, plus proche de celles en ce moment dans le pays. J’ai eu la chance d’y être sur une phase du conflit assez précoce où nous avions toujours l’électricité et l’eau courante avec des conditions climatiques favorables, même s’il faisait très froid, le temps était sec, ce qui change énormément la donne. J’ai des amis qui y sont toujours en ce moment et les conditions actuelles sont justes atroces, il n’y a plus de différence aujourd’hui avec ce que les poilus ont vécu au siècle dernier. Je ne m’attendais pas non plus à cette dichotomie très particulière entre la zone de front à proprement parler et l’arrière où parfois la vie semble presque normale, de passer en 30 min du front où
la destruction et les corps sont omniprésents,
à 10-20 km en arrière où la vie suit en partie son cours, voir ces 2 mondes cohabités à quelques kilomètres d’écart c’est vraiment un sentiment étrange.
Sans hésiter, si c’était à refaire je le referais. Pour être tout à fait franc, si je suis rentré c’est parce que mon semestre l’été dernier était l’inter-chu que j’avais demandé au début de mon internat à l’hôpital d’instruction des armées de Toulon pour mon semestre de réanimation, je ne voulais vraiment pas louper ce stage. Si ça avait été n’importe quel autre stage, j’aurai demandé une dispo pour rester et j’espère pouvoir y retourner au prochain semestre.
As-tu un mot ou un conseil pour les autres internes qui vont te lire ?
Partez et voyagez, faites des inter-chu si vous le pouvez, aller dans les DOM, engagez vous si vous le souhaitez, il existe de nombreux organismes humanitaires, il n’y a pas que MSF. A mon sens, les inter-chu devraient être presque obligatoires et pas seulement possibles. On est formé dans les CHU par des personnes qui le plus souvent travaillent depuis des années dans le même service et qui sont donc convaincus que leur façon de faire est la meilleure voir la seule valable pour les cas les plus extrêmes. De travailler avec d’autres équipes ou à l’étranger, si vous avez la chance de pouvoir y faire un stage, vous verrez qu’il y a plein de façon différente d’aborder un même problème médical en fonction des moyens disponibles et de la culture locale.
Je pense qu’en France, comme dans d’autres pays occidentaux, on a une certaine arrogance, qui fait que l’on pense être les meilleurs partout et que l’on a du mal à voir ce qui se fait ailleurs, la remise en question n’est clairement pas le point fort de la médecine française. Ça ne plaira à pas à tout le monde que je dise ça, mais je pense que j’ai plus appris en 2 mois en Ukraine en travaillant avec des paramedics américains, canadiens, britanniques et suédois que ce que j’apprendrais en 6 mois sur mon stage au SMUR à Montpellier. Donc je remercie vraiment le SILR de m’avoir soutenu et épaulé dans mes démarches avant de partir, notre Doyenne qui a été géniale, qui m’a apporté son soutien et pris de mes nouvelles quasiment toutes les semaines et bien sûr mon coordonnateur de DES qui m’a autorisé à partir pendant mon semestre, tous ne l’auraient pas fait, j’en suis conscient. Et pour finir, je remercie le CHU de m’avoir accordé le statut de congé spéciale humanitaire, ce qui m’a permis de toucher mon salaire de base et de pouvoir m’acheter l’équipement dont j’avais besoin.
Au nom de tous les internes, le SILR tient à t’exprimer sa gratitude et te féliciter pour ta bravoure et ton immense courage. Merci Edouard.