Un interne soucieux du bien-être au travail.
Lazare SOMMIER, interne en chirurgie digestive, promotion 2018, travaille sur les conditions de travail des internes en chirurgie et a lancé une enquête de pratique et de détection du Burn-out chez les internes en chirurgie, pour lancer un signal d’alerte.

Il nous raconte son expérience :
Pourquoi as-tu choisi Montpellier pour faire ton internat et est-ce que tu étais déjà fixé pour faire de la chirurgie ?
J'étais très convaincu par la chirurgie digestive depuis plusieurs années. A la base, c'était plutôt le spectre des maladies digestives qui m'intéressait, j’hésitais avec la gastro mais je me suis rapidement rendu compte que la gastro-entérologie ce n'était pas pour moi, les endoscopies ça ne me plaisait pas. Je me suis finalement très rapidement orienté vers la chirurgie digestive, dès la 4e année, et j'ai maintenu ce choix un peu tout au long de mon externat.
Je venais de Besançon et Strasbourg était la ville de choix, non seulement parce que j’ai grandi en Alsace mais parce que c’est une ville assez réputée et assez attractive comme ville étudiante pour y faire son internat. Mais Strasbourg avait une réputation d'un internat difficile, notamment en chirurgie digestive, du fait de la présence d'un patron qui est nationalement connu pour être dur et je n'avais pas envie de passer par là pendant mon internat.
J’ai donc choisi de m’exporter et me rapprocher du sud. J'adorais la Côte d’Azur. J’ai appelé Nice mais les internes que j’ai eu au téléphone m’ont appris qu’il n’y avait qu’un interne de chirurgie digestive par promotion, qu’ils étaient d’astreinte une semaine sur 2, et ils m'ont dit clairement : « ne vient pas à Nice, pour supporter le rythme de travail, il faut être né à Nice. ». Les mecs, au bout du téléphone, on sent bien qu’ils ne font pas semblant, ils sont au bout du rouleau.
Alors, j’ai appelé Montpellier, directement dans le service de chirurgie digestive. Les internes qui m'ont répondu ont été super sympa, animés d'une certaine joie de vivre qui peut mettre en confiance. Ils me disaient qu'ici les horaires étaient quand même plus acceptables et que l’environnement était bienveillant. Le bassin de formation est aussi très sympa. On a 5 terrains de stage entre l'institut du cancer, le CHU de Nîmes et le CHU à Montpellier, on a quand même pas mal d'experts nationaux et internationaux. En plus d’une bonne formation, j’ai rapidement eu l'impression de pouvoir travailler avec une certaine qualité de vie.
Dès le départ, tu étais conscient que la chirurgie pouvait te plaire mais tu savais déjà qu'il fallait que tu sois bien encadré.
Oui, parce que de toute façon, dès que tu dis à ton entourage médical proche que tu veux faire de la chirurgie digestive, la première chose que l'on te dit est « t'es fou, tu ne vas pas avoir de vie » et il y a beaucoup de gens qui connaissent l'internat de chirurgie au niveau national qui disent « Ah ouais, et ça va ta vie ? »
Tout le monde attire ton attention là-dessus, c'est vrai que je trouvais que la qualité de vie et l'ambiance de travail sont quand même des choses très importantes quand tu vas faire 6 ans dans un même endroit. Si c'est 6 ans en Enfer ou 6 ans au Paradis, ce n’est pas pareil même si c'est pour apprendre le métier de ta vie, je pense que ça change les choses.
Au Syndicat, nous te connaissons sur le côté festif depuis ta chefferie mais aussi sur ce côté beaucoup plus sérieux et grave qui est la souffrance au travail, et nous avons même été agréablement surpris lorsque tu as sorti cette enquête locale, parallèlement à celle de l'ISNI, sur le bien-être au travail.
Est-ce que justement tu as sorti cette enquête pour aider les internes qui arrivent en chirurgie, un petit peu tout feu tout flamme, et qui ne se seraient pas inquiétés, comme toi, de leur environnement et condition de travail? Ou est-ce que parce que toi même tu t'es rendu compte que malgré tout ce que tu avais interrogé avant d'arriver sur Montpellier, ce n’était finalement pas suffisant pour que tu te sentes bien dans ton cursus d'interne ?
Ce n’est pas tant pour moi, parce que de toute façon, je sais très bien que le temps que les choses se mettent en place, si nous voulons changer les choses, j’aurai déjà fini l’internat. Mais malgré tout, on n’a quand même la responsabilité de former les plus jeunes et on ne veut pas les former dans un mauvais environnement. C'est plutôt pour prévenir les suivants, même s’il y a des sensibilités différentes et des façons « d'encaisser les choses », il y a des internes qui vont subir plus de choses que d'autres, peut-être par leur caractère notamment, mais avant tout, c'est certain, ce n’est pas un internat qui est facile. C’est plutôt le constat que j'ai fait déjà en tant que jeune interne et de constater que parmi les plus anciens, certains ont souffert de burn-out pendant leur internat, certains avaient changé de spécialité et d'autres en souffrent encore. Toute la motivation de cette enquête vient de là. J’ai un ami proche qui a fait un burn-out pendant son internat et je me suis vachement senti désemparé pour pouvoir l'aider. Je n'avais aucun moyen. Tout ce qu’ils veulent quand ils sont en burn-out, c'est de s'éloigner du travail, prendre du large, et donc, ils n’ont pas envie que leurs collègues internes en chirurgie les appellent, recevoir une pression de réussite par rapport à eux qui se sentent en échec. J’ai ressenti beaucoup de culpabilité indirecte et d’impuissance. J’étais référent de filière à ce moment-là et la réalisation de cette enquête est devenu le projet de mon mandat. C’était quelque chose qui me tenait à cœur parce qu’à chaque fois qu'on discute entre nous, on a plein de bonnes idées sur « Comment révolutionner l'internat ? », alors, qu'en fait, elles ne sont jamais mises en pratique.
Je me suis dit qu’il fallait faire remonter ces idées pour changer nos conditions de travail, les améliorer et essayer de sensibiliser les gens sur ces points négatifs et ces points cruciaux. Qu'est-ce qui fait que durant nos études de médecine, de plus en plus d'internes font des burn-out en comparaison avec d’autres étudiants ?
Tu n’as pas eu peur, en lançant cette enquête, de te prendre une claque en constatant que finalement il y avait beaucoup plus d'internes que tu ne pensais en mal-être et que ça pouvait toi aussi te faire souffrir face à cette réalité ?
Non, parce que finalement, en démasquant la réalité, c’est bien que les gens prennent conscience des choses et ça, ça ne m’effraye pas. Si on dépiste les gens qui souffrent déjà, c’est tant mieux. Si on ne les dépistait pas, ce serait triste. Fermer les yeux ce n’est pas la meilleure façon de changer les choses, même si nous devons passer par la mise en lumière de chiffres affreux.
Ce qui m’a fait le plus peur, c’est de parler à nos supérieurs en disant : « Nous nous posons des questions sur nos conditions de travail, est-ce que ça vous dérange si on en discute entre nous pour commencer ? »
J’avais déjà le souhait d’organiser une table ronde pour sortir des solutions. Celles qu'on pouvait évoquer quand on discutait déjà en off et pour essayer de changer nos pratiques. J’ai été agréablement reçu par Pr Navarro qui m'a complètement poussé et stimulé pour faire cette table ronde. Il m’a dit qu’il était très important de faire des changements et de se questionner sur les méthodes de travail.
Il y a donc eu un effet immédiat. Quand tu disais que c'était surtout pour les autres que tu souhaitais mettre des choses en place, finalement, grâce à ce projet, il y a eu du changement directement dans ton service.
Oui, un effet immédiat côté questionnement. Oui, on peut se poser ces questions, oui, c'est important de se les poser ; après, la mise en pratique, nous savons que c'est toujours plus compliqué même s’il y a des choses qui ont été faites, les internes sont plus suivis mais, c'est sûr, la refonte de l'internat est encore en cours.
Nous savons qu’Astrid Herrero, MCU-PH du service, t’a aidé sur le questionnaire, est-ce qu’Astrid avait ressenti la même chose que toi dans cette urgence d’aider les internes ? Ou c'était juste pour t’apporter une aide physique dans ton travail sur l’enquête ?
Non, Astrid est très sensibilisée, à chaque fois qu’il y a un interne en difficulté dans la filière, elle est là, au premier rang. Pr Navarro et Astrid Herrero font des rendez-vous réguliers avec l’interne concerné, au début de son mal-être et en suivi. Elle a toujours été au cœur de ces questions. A chaque fois, il y a des raisons personnelles qui s'ajoutent aux raisons professionnelles. Même si ce sont des raisons professionnelles qui prédominent, c'est quelque chose de multifactoriel et quand on regarde le Burn-out dans la littérature, c'est en 1 la valorisation du travail qu'on effectue et en 2 la stabilité au sein du foyer (les difficultés conjugales rentrent beaucoup en compte dans le développement de Burn-out).
Je savais que c’était un travail pertinent mais j'avais un peu peur que ça me prenne beaucoup de temps et ne pas en voir le bout. Je ne pouvais pas garder cette idée sous silence, alors j’en ai parlé à Astrid.
« Que penses-tu d’un questionnaire à destinée des internes de chirurgie dans le service afin de lister toutes les pratiques et faire une enquête sur le Burn-out ? »
Elle m'a dit que l’idée était top et qu’il fallait le faire. Elle m’a bien aidée sur la structuration du questionnaire et permis de voir l’enquête de pratique sous de nouveaux angles. J’ai découvert ce jour-là qu’Astrid fait partie du groupe de bien-être au travail du CHU avec le Pr Michelle Maury et d'autres médecins investis sur ce sujet. J'ai donc eu aussi le soutien du groupe BEAT pour m'aider dans ce questionnaire fait avec Astrid. Le groupe l’a relu et m’a aidé à soulever des points importants notamment pour le Burn-out. Ce n’est pas tout de dépister les internes mais c'est important ensuite qu'ils prennent conscience des résultats. Avec ma maigre expérience, ce n’est pas quelque chose à laquelle j’aurais pensé.
En dehors de Madame Maury et du groupe BEAT, est-ce que tu as senti que le CHU, qui avait apporté son logo dans le questionnaire, était dans la même démarche que toi ? Est-ce que les administratifs étaient prêts à revoir les conditions de travail des internes qui pouvaient amener à un burn-out ?
Le CHU m’a franchement aidé pour la réalisation de l'enquête, sur l'informatisation, la diffusion et l'interprétation des résultats.
Ça ne leur a pas fait peur d'avoir des résultats qui sortiraient négatifs ?
La seule chose qui leur a fait peur, ce sont les commentaires des internes. Il y avait une tribune libre ou les internes pouvaient laisser un commentaire positif ou négatif. C'est vrai qu'il y a quelques commentaires qui sont assez crus sur la façon dont certains peuvent vivre leur internat. Le CHU ne voulait pas que ces mots sortent en ces termes, c'est la seule requête qu’ils ont formulé. Sinon ils m'ont soutenu dès le début du projet et ça a été une aide folle d'avoir la possibilité informatique de numériser le questionnaire avec un logiciel top d'analyses simples.
J’imagine que ce questionnaire n’a jamais été fait dans le but de médiatiser les résultats mais uniquement pour avoir une amélioration de vos conditions de travail et améliorer vos conditions de vie.
La médiatisation n’était pas du tout mon but, tu as raison je l’ai fait pour nous.
Est-ce que tu as été content ou déçu des résultats ?
J'étais déçu pas du résultat de l’enquête mais surtout de découvrir certains chiffres. Quand on se pose des questions, on imagine les réponses, on les connaît entre nous mais, en fait, quand on voit le chiffre c’est quelque fois alarmant. Tout simple, quand on a 85% des personnes interrogées qui disent ne pas toujours avoir de blouses propres pour travailler alors que l’on dit « les médecins sont en blouse blanche », c’est scandaleux ! Ca me révolte ce genre de choses, c'est tellement basique. Et il y a beaucoup de choses comme ça dans l’enquête.
Le plus choquant pour moi c’est le dépistage de plus de 50% d’internes positifs pour la dépersonnalisation, le bon terme serait plutôt déshumanisation, cela signifie que plus d’un interne sur deux répond « tous les jours » ou « plusieurs fois par semaines » à des questions où ils ont le sentiment de ne pas se soucier de ce qui arrive à certains de leurs malades ou encore qu’ils prennent en charge certains malades de façon impersonnelle comme s’ils étaient des objets. Ce résultat je le trouve vraiment inquiétant, il ne faut pas perdre l’essence même de notre métier, ni mettre les internes en danger !
Ensuite, sur la mise en place des améliorations qui peuvent être apportées, ce n’est pas que je suis déçu mais je sais que ça prend encore du temps.
Malgré tout, j’ai déjà rencontré la CME de Montpellier, Pr Patrice Taourel et Dr Françoise Guillon, nous allons programmer une réunion prochainement. Notamment autour de la mise en place des 48h. La fiche de poste de l'interne de chirurgie qui travaille dans le service doit être vachement étudiée et c'est une question qui est encore plus préoccupante qu'avant, parce qu’on ne doit pas diminuer le temps de chirurgie des internes, sinon ils n’auront plus de formation chirurgicale. Il va falloir revoir les tâches essentielles d’un interne en chirurgie et qui, à mon avis, passe par une diminution de l'administratif. C'est aussi le même problème pour les internes en médecine qui sont en souffrance parce qu'ils travaillent trop, ont trop d’heures par semaine. C’est un combat commun, que ce soit pour les internes ou même les praticiens hospitaliers qui souffrent aussi d'une mauvaise sectorisation de certaines tâches à l'hôpital, y compris l'administratif.
Ce qui me fait plaisir est de voir que cette enquête vit encore. Je pense que les 48 h remettent ce débat sur la table en CME au niveau local mais également au niveau national où nous avons repris le questionnaire avec l'association des jeunes chirurgiens viscéraux pour laquelle nous avons un peu modifier des questions que nous avions trouvé un peu moins pertinentes et rajouté des questions sur le harcèlement.
Je regrette de ne pas avoir ajouté quelques questions sur le harcèlement lorsque j’ai lancé l’enquête à Montpellier parce que les résultats au niveau national font vraiment peurs.
Les conditions de vie des internes est un sujet important au niveau national et il faut vraiment que les internes s'emparent de ce dossier parce que sinon, ça ne bougera pas.
Un jour, tu vas finir ton internat, qu'est-ce que tu peux conseiller à tous ceux qui sont en train de te lire ? Que peux-tu conseiller pour que les jeunes s'impliquent un peu plus vis-à-vis des autres et soient moins happés par leurs études de médecine ?
C’est une bonne question et je pense que le problème est déjà un peu organisationnel. Si je peux donner un conseil, quand on a acquis quelque chose, quand on a acquis des mesures qui visent à protéger les internes, comme le repos de garde ou encore, pour certains services, les repos d'astreintes, il faut vraiment l’appliquer. C’est légal.
Il ne faut jamais jamais jamais faire une exception de retour en arrière de type : « j'ai dormi toute ma garde, demain, il y a une chirurgie sympa, je reste sur mon repos de garde même si je ne m'habille pas au bloc, je suis juste là pour voir. » Parce qu’en restant ce jour-là, l’interne qui prendra la garde d'après va culpabiliser de prendre son repos de garde au regard du chef et va se mettre en difficulté.
Je pense encore une fois que lorsqu’il y a des acquis, il faut que tout le monde respecte les textes parce que sinon ça peut être remis en question.
Tu fais parti des internes qui comprennent que la modification de vos statuts d’internes sont à votre avantage et que les différents décrets ne sortent pas pour vous desservir dans votre formation.
Oui, carrément. Il y a un temps pour la formation et un temps pour soi, c'est essentiel. Je pense que lorsqu’on n’est pas bien dans sa tête, ou quand on travaille trop, nous ne sommes plus prêt à engranger des connaissances.
Et ce n’est pas sécuritaire.
Très belle conclusion.
Le SILR te remercie Lazare pour ton investissement dans la défense et l’application des droits des internes.
Nous espérons que la lecture de ce témoignage aura réveillé votre envie d’engagement.